
Je suis arrivée tôt pour la présentation presse de la programmation printemps/été 2025 à PHI, et je traîne en ajustant mon appareil photo, alors que l’artiste Nico Williams et le commissaire Daniel Fiset parlent à voix basse, eux aussi un peu en avance. Ils parlent de l’oeuvre qui est à l’entrée de l’expo, et qui n’est pas de Nico mais d’un artiste qui fait partie de sa communauté de collaborateurs. J’entends oh my God et that’s a shit ton of gold et, comme je vais le découvrir très vite, l’énergie de Nico et de son travail respirent l’esprit de communauté, de kinship, de famille et de tradition modernisée et re-mythifiée. Son expo solo est un peu comme un passage nostalgique dans une cour, en plein été, écrasée de soleil.
La deuxième expo du printemps, c’est une double-installation de l’artiste Lap-See Lam, titrée Théâtre d’Ombres et dans laquelle elle présente deux oeuvres vidéo qui explorent le thème de la mémoire, de la migration et de la transmission des mythes à travers un narratif imaginaire raconté dans le style du théâtre d’ombres.
Les deux expositions présentées cette saison par PHI mythifient le passé et le présent avec un regard doux-amer sur la mémoire, la légende et la narration communautaire.
NICO WILLIAMS: Bingo
L’expo solo de Nico Williams, qui pratique le perlage (beading) depuis 11 ans, mélange des oeuvres plus anciennes avec des oeuvres réalisées pour cette exposition. L’artiste, qui travaille souvent en collaboration avec qui veut venir perler dans son atelier d’Hochelaga, présente un corps d’oeuvres ancrées dans un désir de souveraineté autochtone, dans l’anticolonialisme et dans un amour profond de la communauté autochtone (lui est membre de la nation Aamjiwnaang First Nation (Anishinaabe), mais travaille et présente dans l’expo le travail d’artistes d’autres nations autochtones).
Son travail, incroyablement minutieux et sophistiqué, crystallise des sortes de madeleines de Proust autochtones à travers des objets courants; cartes de bingo comme celles de la bingo night de Kahnawake, un poster de chez sa grand-mère, un portefeuille dont il parle comme d’une sorte d’autoportrait…
Si ces objets en perlage sont, de loin, très jolis et sparkly comme les éléments d’une maison de poupée à taille humaine, ils ont surtout chacun une histoire riche qui raconte la communauté autochtone et qui réclame sans mâcher ses mots la souveraineté et le #landback.
Pour ses trois oeuvres Friendship in Trade, des bandanas en perlage, il a utilisé des perles de rocaille vénitiennes qu’il est allé acheter à Murano, en deadstock -on ne fait plus les perles de rocaille à la main, ce sont les dernières qui existent. Ces perles, qui sont arrivées dans les communautés autochtones à travers les échanges commerciaux et le trade entre colons et premières nations, ont été transformées en un artisanat d’art autochtone (le perlage) extrêmement riche et multiple. Nico en parle comme d’une « beautiful story. Dark, too. »
On vous laisse découvrir le reste de l’expo sans tout spoiler, mais on doit aussi mentionner l’installation Pawn Stars (2024-2025) où Nico a créé une sorte de pawn shop d’objets qui racontent sa découverte de sa culture dans l’enfance et continuellement (et d’objets d’exploitation de la culture autochtone, comme un extrait du film Pocahontas et des VHS de films avec des personnages autochtones, en perlage) et de perlages d’autres artistes autochtones; une cigarette, une « indian watch », un bâton de hockey…
L’expo est sparkly et Nico aussi, et laisse une impression d’avoir pu voir, crystallisé, un snapshot moderne -presque domestique- profondément ancré dans l’héritage, les légendes qu’on raconte autour de l’héritage, et incroyablement vivant.
LAP-SEE LAM: Théâtre d’ombres
L’expo de Lap-See Lam, une double-installation présentée par la fondation Vega, présente en deux salles sombres séparées par des rideaux Tales of the Aftersea (2023) et Floating Sea Palace (2024).
Les deux installations se répondent, bien que très différentes l’une de l’autre, avec une poésie nostalgique pour un système de mythes et de légendes semi-imaginés inspirés du folklore cantonnais.
Au centre de l’expo, il y a le Sea Palace -un restaurant flottant dans un bateau dragon qui a ouvert à Shanghai en 1990 et qui, perdant des clients, a fini amarré à Stockholm et hôte d’une maison hantée avant de devenir un bâteau-fantôme.
Floating Sea Palace (2024) est une installation vidéo qui réimagine le mythe de Lo Ting, personnage mi-homme mi-poisson de légende, avec des éléments de théâtre d’ombres et d’opéra cantonnais. La narration, en boucle, raconte une nostalgie pour le concept de maison, d’appartenance et de transformation en continu.
Tales of the Aftersea (2023), une installation immersive qui transforme une pièce sombre en lanterne chinoise digitalisée, présente une narration imaginée fragmentée par la vidéo qui s’inspire de l’histoire du Sea Palace et d’un folkore en patchwork d’ombres.
Le travail de Lap-See Lam crée un mythe fondateur basé sur la nostalgie et une douce mélancolie presque enfantine pour un monde qui n’a probablement jamais existé, plein de fantômes et de personnages en théâtre d’ombres.
La beauté de son travail, qui est très agréable à habiter, ne serait-ce que pour une trentaine de minutes, crée un mythe moderne crystallisé dans un système complexe de folklore -il y a même un tableau, entre les deux installations, qui recense les personnages qui habitent le monde de Lap-See…
Infos pratiques
PHI, c’est le nouveau nom des espaces du Centre PHI et de la Fondation PHI pour l’art contemporain et les trois espaces d’exposition sont maintenant unifiés dans une identité unique.
Le modèle de billetterie, qui était jusqu’à maintenant gratuit (avec réservation obligatoire), devient flexible. Certaines expos resteront gratuites, comme Jean-Marc Vallée: Mixtape qu’on peut voir jusqu’à début Juillet.
Où?
NICO WILLIAMS: Bingo est au 451 rue Saint-Jean
LAP-SEE LAM: Théâtre d’ombres est au 465 rue Saint-Jean
Quand?
du 25 Avril au 14 Septembre 2025
Combien?
valable pour les deux expos – régulier, 20$/réduit, 16$/doux, 10$/solidaire, 30$
Pour plus d’infos et pour prendre vos billets à l’avance, c’est ici!
Bonne visite!