
Dans le cadre du Festival TransAmériques danse et théâtre, on était à la première de la pièce du collectif Le Théâtre Indépendant, Extérieur/Nuit, au Théâtre Prospero hier soir.
On peut voir la pièce jusqu’à la fin du festival FTA; le 30 Mai, le 31 Mai, le 2 Juin et le 3 Juin (toutes les représentations sont au Théâtre Prospero, à 21h).
La pièce est une nuit noire de l’âme -comme la dark night of the soul du guide d’écriture cinématographique Save The Cat- sans fin -angoissante, débilitante, mais dans un cadre scénique incroyablement sophistiqué qui nous a fait douter de nos sens et qui nous a fait espérer que le jour se lèverait quand même pour nous le lendemain matin.
On a eu la chance de discuter avec Charles Voyer, membre du collectif Théâtre Indépendant et metteur-en-scène de la pièce, après la première.
Extérieur/Nuit
Quand je me suis assise dans la salle, derrière moi, un homme disait à son amie qu’il n’avait pas pu voir la répétition générale parce que, resté dehors avant le début, il avait peur d’ouvrir la porte et de faire entrer la lumière du jour. La pièce doit être jouée dans le noir complet.
Trois personnages errent, seuls dans la nuit. Sur la petite scène du Théâtre Prospero, quelques pièces de décor assez simples découpent l’espace en trois tableaux; un studio, une salle-de-bain et un espace extérieur (rue/parc) brumeux dont on ne voit pas les limites.
Une organisation extrêmement sophistiquée de lumières blafardes de lampadaires, de néons pâles et de fumée qui monte, qui descend, qui s’épaissit, qui disparaît d’un coup crée un monde entier de nuit sans fin qui brouille les sens.
JJ Houle, qui a écrit le texte d’Extérieur/Nuit, a assemblé plusieurs de ses textes, des extraits d’écrits, des monologues, pour créer une sorte de thriller atmosphérique où les personnages se racontent comme si ils se voyaient dans un cauchemar.
La parole est très violente, et les thèmes abordés ne sont pas pour les âmes sensibles, et l’atmosphère d’Extérieur/Nuit est transmise au public avec une efficacité presque méchante.
Je demande à Charles Voyer, qui est le metteur-en-scène de la pièce et qui interprète aussi un mec paumé presque complètement déconnecté de son corps mais au nom hollywoodien de Cody Ryan, de me résumer le thème de cette collection d’âmes perdues. Il me répond qu’Extérieur/Nuit « explore la construction de l’identité en fonction de la violence qu’on a subie et de la violence qu’on a fait subir aux autres ».
Sans parler de stress post-traumatique et sans justifier les symptômes angoissants d’une vie touchée par la violence, les personnages (et le public, par extension) subissent ce que Charles appelle une « déroute sensorielle », ou un « déplacement sensoriel » -qui brouille la réalité, et qui donne l’impression que la nuit ne finira jamais.
Un des éléments de cette déroute tient à un talent de Charles; le ventriloquisme sans marionnette, et quand son personnage perd le fil de l’identité et du réel il y a un décalage entre le mouvement de ses lèvres et ses paroles qui est aussi vertigineux qu’impressionnant pour le public. Plusieurs fois pendant la représentation, je nettoie les verres de mes lunettes et je me frotte les yeux.
Charles Voyer, le Théâtre Indépendant, le FTA et le processus de création collectif
Charles est un des cinq membres du collectif Le Théâtre Indépendant (Charles Voyer, JJ Houle, Léo Gaudreault, Flavie Lemée et Antoine Racine) et maglré le ton très sombre de la pièce il me dit que le processus de création a été joyeux.
C’est leur deuxième pièce originale, après Le Gardien des Enfants (2022), une auto-fiction où là, Charles a écrit et JJ Houle a mis en scène. Le collectif les rassemble, chacun.e avec sa pratique personnelle (la technique, le ventriloquisme, l’écriture), ses talents et sa créativité, dans un « langage commun ».
Ils se connaissent depuis longtemps, depuis le Cegep pour certain.e.s, et ça fait deux ans qu’ils préparent Extérieur/Nuit. Après un an, le FTA les a rejoint en tant que co-producteur, ce que Charles et le collectif ont considéré comme une sorte de consécration, une indiquation que « tout va bien aller ». Ils travaillent déjà sur la prochaine pièce, tout en préparant une tournée à l’international pour Extérieur/Nuit.
On a hâte de voir ce que le collectif fera pour leur troisième pièce originale, parce que leur langage visuel et scénique est un des plus sophistiqués et des plus efficaces qu’on ait vu depuis longtemps.
Bon festival!